quarta-feira, 17 de agosto de 2011

Le renégat ou un esprit confus

Quelle bouillie, quelle bouillie ! Il faut mettre de l'ordre dans ma tête. Depuis qu'ils m'ont coupé la langue, une autre langue, je ne sais pas, marche sans arrêt dans mon crâne, quelque chose parle, ou quelqu'un, qui se tait soudain et puis tout recommence ô j'entends trop de choses  que  je  ne  dis  pourtant  pas, quelle bouillie, et si j'ouvre la bouche, c'est comme un bruit de cailloux remués. De l'ordre, un ordre, dit la langue, et elle parle d'autre chose en même temps, oui j'ai toujours désiré l'ordre. Du moins, une chose est sûre, j'attends le missionnaire qui doit venir me remplacer. Je suis là sur la piste, à une heure de Taghâsa, caché dans un éboulis de rochers, assis sur le vieux fusil. Le jour  se  lève  sur  le  désert,  il  fait  encore  très  froid,  tout  à  l'heure  il fera trop chaud, cette terre rend fou et moi, depuis tant d'années que je n'en sais plus le compte... Non,  encore un effort ! Le missionnaire doit arriver ce matin, ou ce soir. J'ai entendu dire qu'il viendrait avec un guide, il se peut qu'ils  n'aient qu'un seul chameau pour eux deux. J'attendrai, j'attends, le froid, le froid seul me fait trembler. Patiente encore, sale esclave !

                                                                             Albert Camus, L'exil et le royaume, (contes), 1957

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